LE CULTE – chapitre 1 – une dystopie fantastique post-apocalyptique avec des portes-flingues, une peste et des nonnes en corset !

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PROLOGUE

La Croisade démarra à Saint Jean, le dernier jour de l’automne. Depuis la Grande Guerre, l’Empire des Hommes agonisait. La camionette noire, guidée par ses phares jaunes, traça son sillon au milieu de la foule houleuse. Sur ton toit, le gros coffre tangua, fixé sommairement, ses riches décorations cachées par le nuage de poussière soulevé par les grosses roues du véhicule. Les enfants de la La Femme Coyote contemplaient le désert, inquiéts. A l’horizon, l’onde de choc de la tempête arrivait sur eux. D’énormes vagues de vents soulevaient le paysage, couraient sur la route principale. Le Père Johannes remua ses larges membres à l’arrière de la camionnette, maudisant le chaos créé par la glaise suite à l’épisode de pluies violentes de la nuit dernière. Il fixa son reflet dans le rétroviseur. Ses cheveux épars glissaient le long de son visage suant

   – Que faisait-il ici ? se demande l’inquisiteur de l’Astre du Jour ou du Nouvel Aube, si ce n’est guidé ses enfants vers l’étreinte de son Maître.

1.

LE CULTE (2445)

   La Femme Coyote était apparu, trois mois auparavant, alors que de nouveaux cultes fleurissent à présent presque quotidiennement. Un autre prophète, encore. Ils diffusaient massivement leurs vidéos sur les réseaux. Rien ne pouvait les arrêter. Les gens croyaient, s’invectivaient, les villes s’embrasaient ; le voisin contre le voisin. Le choix de la Femme Coyote n’était pas dû au hasard. Saint Jean était en plein coeur d’une réserve. Les natifs y prospéraient, ravagés par le jeu et l’alcool. Le Père Johannes les entendait brailler son nom, jours et nuits. Leur campement était une infamie. Un amas de tentes et de tout ce qu’ils avaient pu transporter jusqu’ici de leurs taudis. Il avait devant lui maintenant le résultat de leurs efforts : une ville nomade, un gigantesque taudis mouvant. La Femme Coyote juché sur son pur-sang, se faisait suivre par une cohorte de leaders à cheval eux aussi. Il fallait avouer qu’elle savait jouer avec les symboles. Il devait y avoir ici plus d’indiens et de redneck à la ronde que de rats dans les quartiers les plus malfamés que sa regretté Nashville

   Les spasmes de son estomac cessèrent un instant. La route le rendait malade. Ses deux porte-flingues marchaient à l’extérieur, imposant un chemin parmi la multitude. Le sol, encore dur comme la pierre, avait abîmé leurs rutilantes bottes de cuir, et ils cuisaient dans leurs manteaux sous cette chaleur de plomb. Le Père Johannes ne s’était jamais senti aussi insignifiant, voir minuscule, dans ce monde. Mais cette prophétesse lui avait planté un couteau dans l’âme, un couteau pointu au milieu de ses convictions les plus ancrés. Il se sentait vide. Vide de tout pouvoir d’autorité, mais justement nulle ne devait le savoir. Encore moins les deux brutes qui lui servaient d’escortes ; qui sait ce qu’ils pourraient faire alors s’ils lui faisaient passer un de ces satanés tests psychologique – son instabilité paraîtrait claire. Ses nuits agitées, et ses mains le démontraitent déjà de manière trop évidente. Au lieu de fortifier son âme, cette mission, confiée par son maître, le Théogoniste de Nashville, allait le conduire à la défection. Son parti ne pourrait plus croire en lui de toute façon. L’état du Tennessee se concentrait sur l’essentiel pour maintenir sa place dans le nouvel Etats Confédérés d’Amérique, chassé les hérétiques, les possédés et les compositeurs de musique corruptrice, mais la tâche était immense et vaine. Des adorateurs d’Elvis s’étaient rassemblés en masse dans des faubourgs, disons-t-on. L’Empire des Sables n’était plus, écartelé, et l’empereur, le pantin des politiciens et des gafas. La grande guerre avait disloqué le monde en deux. Au nord, la Nouvelle Union, au sud les Nouveaux Confédérés, aucun des camps n’avait voulu trouvé de noms plus originaux. La planète, un désert brûlant sur lequel régnaient les discours apaisants des grands multinationales, et des millions de bouches affamées courbant l’échine devant les doctrines eschatologiques, dans l’espoir du pardon d’avoir souillé la terre jusqu’à sa quasi extinction.  

Les nonnes qui l’accompagnait, portaient soin aux blessés, aux égarés venus de tout bord. Selon leurs doctrines, elles ne faisaient aucune distinction. 

   –  » Soeur Nathalia !  » dit-il, en abaissant la vitre quand ils passèrent à sa hauteur, dans le convoi. Elle en avait creusé des trous depuis le début de la croisade. Il n’avait pu que noter sa dévotion.  

Son uniforme laissait saillir sans retenu sa poitrine dans son corset, ses traits anguleux fardés de blanc, lui donnait l’apparence de la vierge que tous ses patients à son chevet reconnaissaient comme celui d’un ange, agonisant de la peste jaune qui leur explosaient le visage de bubons grotesques.

Les dix milles enfants de la Femme Coyote produisaient en permanence des déchets et le lot de pollution et de malades qui les accompagnaient. 

   Les porteurs de cercueil qui accompagnait Nathalia levèrent la tête. 

« Un problème ? fit-il l’un d’eux, d’une voix juvenile. Il plissa des yeux, au milieu d’un visage au teint gris pâle, sous un stetson trop grand, aborant la croix sudiste. En principe, l’esclavage était encore illégal dans l’état, mais comme il ne se trouvait personne pour parler au nom des victimes, les marchands d’esclaves pullulaient autant que la peste, disaient certains. Et celui-ci devait faire partie du lot que la soeur avait racheté à bon prix la semaine dernière.

Il parlait avec l’accent typique de cette région, un hillbilly hâché et pâteux. Il ne devait pas avoir plus de quatorze ans et un bon quart de sang cherokee. 

« On m’appelle Père Johannes, quand on respecte sa hiérarchie, jeune homme. »

Il descendit de la camionette dans les roues s’embourbaient dans la glaise de plus en plus humide. Le vent fouetta sa robe brodée d’or. L’enfant battit en retraite et fit signe à ses compagnons de poser le cercueil au sol, parmi les autres étalés sur le sol.

  « J’ignorais que c’était vous, votre seigneurie »   

  Les portes-flingues du Père Johannes s’empressèrent de se positionner afin d’écarter la foule de curieux. Les dépossédés de la terre étaient curieux de leur véhicule luxueux depuis leur arrivée dans la croisade. Des visages hagards, mangés par la fatigue, d’enfants et de femmes faméliques, accompagnés d’hommes aux yeux creux qui dévisageaient l’envoyé de l’Astre Nouveau comme un extraterrestre. 

Nathalia s’approcha, le talon de ses bottes lacées jusqu’aux genoux, laissant des marques dans le sable rouge. Sa chevelure auréolait son visage, au milieu de torsade bouclés orangée.  

« Mon père ? » 

« Les soldats de la Femme Coyote ont témoigné de votre abgnégation, parmi eux. Achevant les mourrants et sauvant les faibles » dit-il en grattant les poils bruns de sa gorge. 

Le prêtre examina les cadavres dont les cercueils n’étaient pas encore fermés. La plupart montraient des signes inquiétants de décomposition dû à la maladie qui ravagaient la croisade. Une peste jaune sans pitié pour le rang et la fortune. 

   – « On enterre les leurs comme les nôtres chaque jours. Le nombre de représentants des servants de l’Empire diminue aussi. Je suis étonné de vous voir en vie, et plus encore vous risquez en dehors de votre véhicule privé ».

   Elle portait des runes de protections sur ses avant-bras et son visage aborait les marques de l’air et du feu, symboles puissants de l’Ordre. D’un coup de pied, elle bouscula les portes-cercueils qui s’assoupissaient, les remettant instantanément au travail. 

  – « La femme Coyote ramène de plus en plus fidèles de tous les Etats. Elle est puissante, et le sera encore plus dans les semaines à venir. » La sueur perlait sur son front. Johannes la regarda remplir à nouveau les tombes, en silence. 

   – « Elle a violé la paix secrète en rameutant des gens de tout bord. »

  – « Ce n’est pas comme si c’était la première fois que cela arrivait. Et cela arrivera encore.»

   – « Quelqu’un lui a-t-il appris les bonnes manières ? »

   – « J’ai donné à tous les pouilleux armés au moins d’un couteau, assez de blé pour se goinfrer des rats et des chats qu’ils prennent ici pour de la viandes, pour lui ouvrir la gorge de long en large. Mais ils préféraient crever que toucher à un de ces poils. Si elle les entraîne dans le désert c’est d’ailleurs ce qui risquent de leur arriver. »

   Le prêtre en robe doré carressa ses bagues. De grosses gouttes perlaient sur son front gras. Des nuages menaçant s’amoncellaient au-dessus d’eux, tâchant le sol crevasé et s’écrassant en flop assourdissant sur le toit de la camionette. 

   – « Il doit bien y avoir quelqu’un qui voit un peu plus loin que son nez dans toutes cette bande de bouseux mécréants. La Femme Coyote est une puissante chamane, je ne le nie pas. Et elle a été reconnu par le sien comme la réincarnation d’un grand esprit. Les éléments semblent lui obéir. Au Kentucky, il a été question de tornades : de bétails disparus, des maisons entières soulevées, et des villes ravagées. Son idée d’un pélerinage jusqu’au lac sacré des Huron est dangereuse. Qui sait combien de personnes pourrait-elle rassembler si tous craignent ses pouvoirs ? A chaque nouvelle villes croisées, elle les menace de les dévaster s’ils ne se joingent pas à elle. »

« Elle dit pourtant rechercher la paix, et n’exprimer que la colère des Dieux. Mais, n’oubliez pas, quel puissant chef n’a-t-il pas besoin de lieutenants pour mener une guerre sainte ? ».

   Johannes prit l’énorme exemplaire écorné de l’Aube Nouvelle, attaché à sa ceinture avec un rosaire, dont il se servait depuis des années. Il ne doutait pas de devenir le nouveau évangéliste de l’Amérique réunie, se comportant en véritable croisé malgré ses doutes. Depuis son arrivée, il y a deux mois à Saint Jean, il s’était épuisé à approcher les plus puissants chefs alliés de la chamane. Sans savoir comment il avait réussi à garder sa raison. Les rescapés des premières semaines de la croisade formaient une tribu à part. Le campement se formait en cercles autour de la hutte de la Femme Coyote, reconnaissable aux crânes d’animaux plantés à son sommet. Une tente de fortune qui passait pour un palais. Un cercle concentrique de violence s’était établi à partir de là, et plus on se rapprochait du centre, plus on avait affaire à des puissants ou des gens ayant des contacts. 

Johannes avait finalement entendu parler de celui qui l’avait reconnu comme guide spiriturel et sauveur de l’humanité. Un prêtre défroqué et sans envergure que l’exil avait rendu amère, le prêtre Rewis.

   Soeur Nathalai avait raison, mais il en avait trop entendu sur ce prêtre défroqué – et trop vu depuis les grandes routes désertes du Texas, des communuautés dévastées après son passage. Malgré ses craintes, il se rentra sur le siège arrière de la camionette, le coffre trônant sur le toit – gravé des symboles de son église le rassurait, s’il ne trouvait pas de solution, il pourrait toujours déclencher la fureur des dieux vengeurs qu’il contenait ; hymnes et foi sont toujours les solutions.